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La psychanalyse peut-elle être évaluée ?



Photographie d'un ciel bleu

L'évaluation de la psychanalyse n'est pas aisée car il est difficile d’attester de ses effets d’un point de vue objectivant. Cependant, il est avéré que la psychanalyse obtient des résultats thérapeutiques. De nombreux analysants ont témoigné de la guérison de leurs symptômes et de l’allègement de leur névrose. Des recherches récentes sur les effets thérapeutiques de la psychanalyse confirment son efficacité1.


Évolution de la question de l’évaluation

La question de l’évaluation de la psychanalyse est ancienne. Les premiers travaux sur ce sujet ont eu lieu dans les années 1915-1930, avec notamment la publication des rapports d’activité des instituts psychanalytiques de Londres et de Berlin. Cependant, cette évaluation pose des difficultés. Déjà en 1953, au Congrès de Londres, Edward Glover, l’un des pionniers de la psychanalyse en Grande Bretagne, déplore l’absence totale de consensus entre analystes sur les moyens d’apprécier l’efficacité thérapeutique de l’analyse. Dans son article « Les critères thérapeutiques de la psychanalyse », il décrit un projet de standardisation des résultats, qui se serait fondé sur des critères métapsychologiques, psychopathologiques et méthodologiques afin d’écarter le facteur subjectif. Mais ce projet fait long feu.


En 1985, le NIMH (National Institute of Mental Health) décide d’appliquer la même méthodologie à l’évaluation des psychothérapies que celle utilisée dans la recherche pour les médicaments, il s’agit de la méthodologie de l’essai contrôlé randomisé (ECR). Une thérapie est prescrite à un groupe homogène de patients. Les résultats sont comparés à ceux d’un autre groupe semblable qui ne reçoit aucun traitement ou un traitement « comme d’habitude » ou encore un traitement alternatif.


À partir des années 90, il y a implantation de la médecine fondée sur des preuves (Evidence Based Medicine ou EBM) dans les pratiques médicales et en 1995 l’APA (American Psychological Association) a tenté de s’inscrire dans la logique de l’EBM et de mettre en place des essais cliniques de psychanalyse pour en évaluer l’efficacité. Jean-Michel Thurin précise que si l’APA à l’époque soutient cette démarche, c’est parce qu’elle redoute « de voir la psychothérapie disparaître au profit des traitements psychotropes qui sont en plein développement2 ».


Ces essais fondés sur l’Evidence Based Medicine ont été critiqués en raison de leur faible validité clinique en matière de souffrance psychique3. Cependant, et même si nous pouvons le regretter, les seuls témoignages d’analysants et la démonstration au cas par cas ne suffisent plus et nous sommes entrés dans l'ère de l'évaluation.


Questions méthodologiques et éthiques de l’évaluation

Pour les analystes, le modèle de l’Evidence Based Medicine ne peut être appliqué comme modèle de validation scientifique de l’efficacité des pratiques psychanalytiques, en raison de leur complexité et de considérations d’ordre éthique. En outre, comme le remarque Jonathan Shedler4, ce mouvement de la thérapie Evidence Based Medicine, dissimule un « discours de maître » qui en vient à dominer progressivement le paysage de la santé mentale. Ce discours diffuse l’idée que la science démontre que les traitements « fondées sur des preuves » sont supérieurs à d’autres formes de thérapie.


Pour Shedler, les allégations selon lesquelles la thérapie « fondée sur des preuves » serait plus efficace que la thérapie en contexte réel n’ont pas de fondement scientifique. Au contraire, il soutient qu’il existe un énorme contraste entre ce que disent les médias et ce que la recherche montre réellement, à savoir que la plupart du temps les thérapies « fondées sur des preuves » sont inefficaces pour la plupart des gens5. Selon lui, en proclamant la supériorité de la thérapie fondée sur les preuves, les chercheurs universitaires nous vendent un mythe.


En effet, la psychanalyse relève d’une pratique centrée sur la singularité et le cas par cas. Elle part de la demande du sujet pour l’accompagner dans la recherche de ses propres solutions, tout en tenant compte du rôle qu’occupe le symptôme dans son économie psychique. Partant de là, comment l’évaluer ? Comment mesurer la diminution de la souffrance ? Et si l’on estime que la « guérison » consiste en un mieux-être du patient, qui peut juger de ce mieux-être ? Le patient, l’analyste, ou l’entourage du patient ? N’y a -t-il pas des exemples d’analysants qui disent aller beaucoup mieux et sont devenus plus difficiles à vivre pour leur entourage ? Pour toutes ces raisons, les effets d’une psychanalyse ne peuvent être uniquement mesurés par des mesures quantitatives, l’être humain ne pouvant être réduit à une donnée statistique.


La question du normal et du pathologique est également importante car il ne s’agit pas d’imposer une règle de normalisation sociale. La psychanalyse se consacre plutôt aux difficultés inhérentes au fait même d’exister. Et elle prend en compte l’histoire du sujet, la façon dont il s’inscrit dans ses relations familiales ou conjugales et dans le lien social.


Il est en outre difficile de considérer les groupes de patients comme homogènes, ainsi que ceux des psychothérapeutes, supposés se comporter de manière identique. Il existe également une problématique éthique de l’évaluation qui est celle du groupe contrôle, comme l’ont relevé Patrick de Neuter et Philippe Fouchet.


« Il est en effet inadmissible sur le plan déontologique de répartir aléatoirement, comme cela se fait pourtant dans certaines études (cf. rapport de l’INSERM, 2004), un ensemble de patients qui consultent pour des problèmes psychiques, soit dans un groupe expérimental (où ils recevront effectivement un traitement psychothérapeutique), soit dans un groupe contrôle où ils seront mis sur une liste d’attente (on choisit alors de laisser en souffrance la demande d’aide adressée par le patient) ou dans un groupe “placebo” (où le thérapeute est chargé d’avoir un minimum de contact avec le patient et de ne pas utiliser les éléments supposés actifs dans la thérapie, voire même de faire une “pseudo-thérapie” ou une “anti-thérapie”)6 ».


Il est en effet difficilement concevable de ne pas soigner délibérément des personnes en souffrance psychique qui demandent de l’aide. Dans certaines études, les thérapies « basées sur des preuves » ne sont presque jamais comparées à des thérapies alternatives légitimes, les groupes témoins n’étant en fait que des groupes fictifs recevant un pseudo-traitement, conçu pour échouer, ce qui pose une réelle question éthique. Les traitements « Evidence Based Medicine » ne sont donc pas comparés à d’autres formes de psychothérapie mais sont comparés à « ne rien faire ». Ces études mettent donc uniquement en évidence le fait qu’une thérapie « fondée sur des preuves » est plus efficace que... « ne rien faire7 ».


Difficile formalisation des critères d’évaluation

De façon plus large, nous pouvons citer quelques-unes des principales critiques à l’égard des essais contrôlés randomisés (ECR) qui définissent la psychothérapie « fondée sur les preuves » :

- comme nous l’avons vu, la constitution des groupes contrôle fait l’objet de nombreuses réserves, concernant par exemple l’illusion d’une homogénéité de ces sous-groupes témoins non-traités ou traités par placebo et le manque de déontologie consistant à ne pas soigner un patient ;

- il est difficile de constituer des groupes de patients homogènes, par exemple une classe de patients dépressifs considérés comme tous identiques car ceci ne prend pas en compte la question des comorbidités, ni la réalité clinique des patients polysymptomatiques ;

- une application rigide de protocoles psychothérapiques préconstruits est une conception simplificatrice des échanges entre patients et psychothérapeutes, qui sont impossibles à standardiser ;

- la seule prise en compte de la réduction des symptômes et non pas l’amélioration globale de la vie psychique du patient est réductrice. En outre, les symptômes peuvent renvoyer à des problématiques différentes, telles les phobies, qui peuvent relever du registre névrotique mais aussi, dans des cas plus graves, de problématiques psychotiques ;

- la courte durée des ECR est aussi incriminée, car les effets de certaines psychothérapies peuvent ne pas se maintenir à long terme, ou les symptômes peuvent se déplacer dans d’autres registres pouvant être tout aussi invalidants ;

- le patient n’a le choix ni de la thérapie, ni du thérapeute.


Les enjeux étant importants, les travaux sur l’efficacité des traitements psychothérapiques s’inscrivent dans des climats de débats et de controverses, au vu de la grande diversité des approches existantes dans ce domaine. Certains professionnels alimentent des discussions afin de démontrer que seules leur méthode et leur école de pensée sont efficaces tandis que les autres ne seraient pas fiables, voire relèveraient du charlatanisme.


Il est également notable que de leur côté, de nombreux psychanalystes pensent qu’il est sans intérêt, ou impossible, de soumettre la psychanalyse à une évaluation scientifique. En outre, il leur est difficile de formaliser des critères de guérison homogènes et valables pour tous. De même qu’il n’existe pas de cure « standardisée », les critères analytiques de la guérison ne peuvent s’indexer sur les standards traditionnels de la santé publique. Il s’agit d’une santé « privée » et toujours singulière. Pour les analystes, même l’absence de symptômes n’est pas une garantie de guérison.


En effet, force est de constater que l’élaboration de critères d’évaluation se heurte à des difficultés méthodologiques majeures. On pourrait en effet décider qu’un patient est « guéri » quand une cure est réussie, à savoir quand ses objectifs sont atteints. Mais dans ce cas, quels seraient les objectifs et qui pourrait les fixer ? En effet, il n’est pas rare que la demande initiale du patient évolue au cours de sa cure et en recouvre d’autres qui se dégageront tout au long du processus thérapeutique.


On pourrait alors décider que l’objectif est atteint lorsque l’énergie psychique du patient est mieux et plus économiquement employée, lorsque ses processus intrapsychiques se font plus souples. Bref, quand le patient arrive à être plus heureux, ou juste moins malheureux, ou encore quand le patient aura pu, comme le formulait Freud, « transformer sa misère névrotique en malheur banal », ou « améliorer sa position de sujet » selon Lacan.


Mais si l’on estime pouvoir parler de « guérison » ou tout au moins d’amélioration, dans ce cas, comment le quantifier et comment le chiffrer ? Nous l’avons vu, les gestionnaires actuels ont besoin de preuves, de chiffres et de résultats concrets, afin de valider des résultats. Depuis les années 2000, même dans le champ de la « santé mentale », les décisions politiques doivent s’appuyer sur des données chiffrées relatives à l’efficacité des thérapies, en vertu des principes issus de la « nouvelle gestion publique », visant à faire prévaloir le ratio coût/bénéfice des investissements d’État.


Même si nous pouvons déplorer cette gestion étatique et même s’il est important que la psychanalyse conserve sa spécificité et refuse de se soumettre aux dispositifs actuels d’évaluation qui tendent à créer un nouveau mode de contrôle social, il est important que les professionnels puissent mesurer les effets de leur méthode et témoigner de ce qu’il se passe en réalité dans leur cabinet, ainsi que des effets thérapeutiques d’une cure. L’enjeu est de ne pas faire sortir la psychanalyse des institutions soignantes et surtout de ne pas priver les sujets de la possibilité d’aller mieux et du choix de leur thérapie.


En 2004, un rapport de l’Inserm « Psychothérapie, trois approches évaluées » semblait conclure à une plus grande efficacité des thérapies cognitives et comportementales (TCC) sur la plupart des troubles psychiques, l’efficacité des thérapies psychanalytiques n’étant reconnue que pour les troubles de la personnalité. Si ce rapport a suscité une grande émotion et placé le débat sous l’angle de la polémique, il a également mis au jour le fait que la communauté psychanalytique française est dans l’ensemble mal informée du contexte international de l’évaluation et de ses conséquences. Ce rapport a amené les praticiens et les chercheurs à se positionner et à débattre de cette question scientifique et politique.


En fait ce rapport, qui fit grand bruit et en fâcha beaucoup, établissait non pas la supériorité thérapeutique des TCC, mais uniquement le fait qu’elles savaient démontrer leur efficacité. Il révélait seulement le manque de recherches en psychanalyse correspondant aux critères retenus. Puisqu’il y avait moins de preuves expérimentales d’efficacité pour la psychanalyse, les TCC devinrent à partir de ce rapport les traitements à valoriser et à promouvoir.


Notons toutefois que malgré les biais méthodologiques de cette étude, la supériorité des psychothérapies psychanalytiques était reconnue pour les troubles complexes, tels que les états-limites.


S’ensuivirent des conséquences importantes dans les champs sanitaire et médico-social, notamment pour le traitement de l’autisme, le contenu des formations universitaires françaises et une réforme amorcée des CMPP (centres médico-psycho-pédagogiques). Il semble qu’en 2020, les décideurs publics s’appuient encore sur ce rapport pour décider des stratégies dans le domaine de la « santé mentale ». Ce parti pris interroge car ce rapport est très controversé.


Il semble donc important que la psychanalyse puisse elle aussi s’emparer de la question de la démonstration de son efficacité et une réflexion sur l’évaluation de ses pratiques nous semble désormais essentielle. La question est politique, car si la psychanalyse ne souhaite pas disparaître des dispositifs de soin, ne doit-elle pas se présenter comme « soignante » et s’adresser à ce titre aux institutions et décideurs ?


Insuffisante visibilité des bénéfices de la psychanalyse

Un rapport réalisé en janvier 20058, par Philippe Fouchet et Patrick De Neuter, membres du comité d’experts du groupe de travail « psychothérapie » au Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France (CSHPF) faisait état de l’actualité des recherches scientifiques menées sur l’efficacité de la psychanalyse et des psychothérapies analytiques. Ce rapport concluait à une réelle efficacité de celles-ci.


Pour Patrick de Neuter9, il convient de poursuivre au cas par cas les démarches d’évaluation qualitative pratiquées depuis toujours par les psychanalystes, mais il préconise de développer des évaluations où se mêlent le qualitatif et le quantitatif, afin de faciliter le dialogue avec les institutions. Ces évaluations devront tout de même éviter certains écueils, tels que la rupture de la confidentialité et du secret professionnel, la comparaison avec des groupes contrôles sans traitement ou avec un pseudo-traitement, la transformation des indices de changement positif en normes valables pour tous, une uniformisation des cliniciens et une pression sur le thérapeute qui l’amènerait à réussir à tout prix. Un autre piège à éviter serait celui de confondre quantitatif et scientifique et de croire que tout est quantifiable. Ces (importantes) réserves mises à part, une évaluation de la psychanalyse lui semble souhaitable car elle permettrait en outre de réfléchir aux questions d’inefficacité qui se posent à tout praticien et aux moyens d’y remédier.


En effet, même si cette validation semble difficile à mettre en place, de plus en plus d’études scientifiques internationales parviennent à démontrer la valeur thérapeutique des thérapies de longue durée d’inspiration psychanalytique. Appelées en anglais PPLT (psychothérapies psychodynamiques à long terme), celles-ci seraient plus efficaces que d’autres thérapies dans le cas de divers troubles traités et sur le fonctionnement de la personnalité. Elles obtiendraient également des résultats plus pérennes. Il est donc regrettable que ces résultats ne soient pas davantage mis en avant en France.


Un article de Jonathan Shedler The efficacy of psychodynamic psychotherapy10, paru en 2010 dans The American Psychologist, arrive à la conclusion que les thérapies « psychodynamiques » inspirées de la psychanalyse11 sont au moins aussi efficaces que les TCC (thérapies comportementales et cognitives) et d’autres thérapies qui ont été activement présentées comme « basées sur les preuves ». En outre, les bénéfices du traitement psychodynamique sont durables et semblent s’étendre au-delà de la rémission des symptômes, l’état des patients continuant à s’améliorer après la fin du traitement. Enfin, les thérapies non psychodynamiques sont efficaces en partie parce que les praticiens les plus compétents utilisent des techniques qui sont depuis longtemps au cœur de la théorie et de la pratique psychodynamiques. Pour de nombreuses personnes, la thérapie psychodynamique peut favoriser les ressources et les capacités intérieures qui permettent une vie plus riche, plus libre et plus satisfaisante.


Pour arriver à cette conclusion, Jonathan Shedler a étudié les résultats de plusieurs publications médicales portant sur l’efficacité des traitements psychodynamiques, publiées dans les cinq années précédant la rédaction de son étude. Ses commentaires sont intéressants car il remarque que lorsque les études étaient plus favorables aux thérapies non psychodynamiques elles étaient accueillies et commentées avec enthousiasme et largement diffusées, alors que dans le cas contraire, elles passaient inaperçues.


Jonathan Shedler relève le paradoxe selon lequel bien que les évaluations de leurs thérapies soient massivement en leur faveur, les psychanalystes les connaissent peu et ne s’en revendiquent pas. Il semble que « les défenseurs de la psychanalyse sont peu informés de ces résultats de recherche », en raison « non seulement [de] la réticence des milieux hostiles à la psychanalyse à les admettre ou même à les discuter, mais aussi [du] désintérêt des milieux psychanalytiques pour la recherche académique12 ».


Shedler ajoute qu’il existe une croyance dans les milieux universitaires et politiques selon laquelle les concepts et les traitements psychodynamiques ne sont pas étayés par des données empiriques ou que les preuves scientifiques montrent que d’autres formes de traitement sont plus efficaces. Cette croyance semble avoir pris une vie propre. En fait, les preuves scientifiques racontent une histoire différente : des recherches fiables confirment l’efficacité et l’efficience de la thérapie psychodynamique. L’écart entre les perceptions et les preuves peut être dû, en partie, à des biais dans la diffusion des résultats de la recherche.


Jonathan Shedler cite des études contrôlées et randomisées qui confirment l’efficacité de la thérapie psychodynamique pour la dépression, l’anxiété, la panique, les troubles somatoformes, les troubles alimentaires, les troubles liés à des substances et les troubles de la personnalité (Leichsenring, 200513 ; Milrod et al., 200714).


Une autre étude a également montré des changements dans les processus intrapsychiques censés être à l’origine de changements de symptômes chez les patients borderline (Levy et al., 200615). Ces changements intrapsychiques se sont produits chez des patients qui ont reçu une thérapie psychodynamique, mais pas chez des patients qui ont reçu une thérapie comportementale dialectique. Ces changements intrapsychiques peuvent expliquer les avantages du traitement à long terme.


Une étude publiée en 2008 a montré que la thérapie psychodynamique avait des effets bénéfiques durables cinq ans après la fin du traitement. Au bout de cinq ans, 87 % des patients qui ont reçu le « traitement habituel » continuaient à répondre aux critères diagnostiques du trouble de la personnalité limite, contre 13 % des patients qui ont reçu une thérapie psychodynamique (Bateman & Fonagy, 200816).


Mais l’étude évoquée par Shedler qui nous paraît particulièrement probante révèle que les psychothérapeutes, indépendamment de leurs propres orientations théoriques, ont tendance à choisir la psychothérapie psychodynamique pour eux-mêmes (Norcross, 200517).


Jonathan Shedler relève que tous ces résultats sont mal connus des psychanalystes car un grand nombre des études et méta-analyses sur les résultats des psychothérapies examinées dans le cadre de cet article ne sont manifestement pas rédigées à l’intention des praticiens. Au contraire, elles sont très complexes et techniques et semblent souvent écrites principalement pour d’autres chercheurs en psychothérapie.


Ces résultats semblent confirmés par un article français récent18 qui réinterroge quinze ans après la valeur scientifique du rapport de l’INSERM de 2004. Après avoir examiné les études d’efficacité effectuées ces vingt dernières années au niveau international, Guénaël Visentini l’affirme à son tour : « La psychanalyse – en tant que thérapie psychodynamique, verbale, centrée sur la relation transférentielle non consciente, à la fois interprétative et soutenante – est efficace, sur le court terme comme le long terme, pour la quasi-totalité des troubles connus. De plus – autre fait notable –, elle s’avère globalement aussi efficace que les TCC, pour chacun de ces troubles19 ».


Malheureusement il semble que la majorité des analystes résistent à s’emparer de cette question.


Désintérêt des enjeux de l’évaluation pour le milieu analytique

Mis à part quelques groupes de recherche tel que le Réseau de Recherche Fondé sur les Pratiques Psychothérapeutiques, coordonné par Jean-Michel Thurin à l’INSERM, il semble que ces questions d’évaluation intéressent assez peu les psychanalystes français. Nous pouvons le regretter car, d’une part, elles influent sur les décisions politiques dans la mise en œuvre des soins et, d’autre part, il est important que le grand public soit informé de ces résultats. Cela nous semble d’autant plus regrettable qu’au niveau international, des études observationnelles contrôlées démontrent l’efficacité de la psychanalyse et le comité de recherche indépendant de l’International Psychoanalytical Association (IPA) met régulièrement à jour la littérature sur le sujet20.


Et même si une évaluation répondant aux critères de la recherche biomédicale est inadaptée à la psychanalyse, celle-ci pourrait tout de même tenter de trouver des modes d’évaluation répondant à ses critères. La psychothérapie ne peut se réduire à des techniques de "dressage" pour aller mieux ou de formatage des individus. Une intervention claire et critique de la psychanalyse dans le débat public serait souhaitable. Il est de l'intérêt des patients de pouvoir avoir un choix éclairé entre plusieurs approches.



Quels critères d’évaluation pour la psychanalyse ?

Bien sûr la démarche n’est pas simple car il est impossible d’évaluer une thérapie comme un médicament. Il est donc nécessaire de concevoir des modes d’évaluation spécifiques et de déterminer les critères d’évaluation, de distinguer les effets qui relèvent de la thérapie et ceux qui résultent d’autres éléments tels que les événements de la vie du sujet. Il est également essentiel de préserver la confidentialité des cures.


Un certain nombre de psychanalystes pensent qu’il devient urgent de proposer des modalités d’évaluation spécifiques à l’approche clinique pour défendre la valeur et l’efficacité de la pratique psychanalytique. En France, les travaux de Jean-Michel et de Monique Thurin en 2007 ont posé les fondements sur la question de l’évaluation des psychothérapies.


Plus récemment, des auteurs se posent la question de développer une méthodologie de recherche concordante épistémologiquement aux approches psychanalytiques, en s’appuyant sur la clinique réelle et quotidienne des praticiens. Il s’agirait de partir des changements ou transformations psychiques évalués de manière qualitative et de transformer ensuite ces signes qualitatifs en grilles ou tableaux où ils pourront être quantifiables 21 ».


Ces évaluations permettraient de s’adresser aux décisionnaires, aux politiques, mais sans aliéner l’éthique du traitement analytique et sa temporalité propre. Une façon de répondre à la demande et pour les patients la possibilité d'avoir le choix.


1 Beaucoup de ces recherches sont consultables sur le site psychotherapeute.be de la Confédération des associations d'orientation psychanalytique, à la rubrique « articles scientifiques »,


2 THURIN Jean-Michel, « L'évaluation des psychothérapies, où en sommes-nous ? », in Georges Fischman. L'évaluation des psychothérapies et de la psychanalyse, Issy-les-Moulineaux, Elsevier-Masson, 2009, 286 p. 103

3 Ces questions sont développées dans l'article de Jean-Michel Thurin, « Limites de la médecine fondée sur des preuves et orientations actuelles : une nouvelle génération des recherches en psychothérapies », Bulletin de psychologie, 2006/6 (Numéro 486), pp. 575-584.

4 Professeur de psychiatrie clinique à l'université de Californie à San Francisco et enseignant au centre de psychanalyse de San Francisco.

5 SHEDLER Jonathan, « Où est la preuve de la thérapie fondée sur les preuves ? », in The Journal of Psychological Therapies in Primary Care, vol. 4, May 2015, [en ligne], Disponible sur https://www.psychotherapeutes.be/shedler-jonathan-ou-est-la-preuve-de-la-therapie-fondee-sur-les-preuves-in-the-journal-of-psychological-therapies-in-primary-care-vol-4-may-2015/

6 FOUCHET Philippe et DE NEUTER Patrick, « Les psychothérapies d’orientation psychanalytiques : validation scientifique et efficacité reconnue », Rapport du comité d’experts du groupe de travail « psychothérapie », au Conseil Supérieur d’Hygiène, janvier 2005 [en ligne]. Disponible sur :

7 Cette question est développée dans l'article de Jonathan Shedler, « Où est la preuve de la thérapie fondée sur les preuves ? », in The Journal of Psychological Therapies in Primary Care, vol. 4, May 2015, [en ligne], Disponible sur https://www.psychotherapeutes.be/shedler-jonathan-ou-est-la-preuve-de-la-therapie-fondee-sur-les-preuves-in-the-journal-of-psychological-therapies-in-primary-care-vol-4-may-2015/

8 FOUCHET Philippe et DE NEUTER Patrick, « Les psychothérapies d’orientation psychanalytiques : validation scientifique et efficacité reconnue », Op. Cit.

9 DE NEUTER Patrick, « L’évaluation des psychothérapies d’orientation psychanalytique », Exposé à la Société Royale de Médecine, 10/12/2005 [en ligne]. Disponible sur https://www.psychotherapeutes.be/patrick-de-neuter-levaluation-des-psychotherapies-dorientation-psychanalytique-expose-a-la-societe-royale-de-medecine-10122005/

10 SHEDLER Jonathan, “The efficacy of psychodynamic psychotherapy”, American Psychologist, February–March 2010, [en ligne], disponible sur https://www.apa.org/pubs/journals/releases/amp-65-2-98.pdf

11 Les « psychothérapies psychodynamiques » sont des psychothérapies fondées sur des concepts et méthode issus de la psychanalyse et non la psychanalyse proprement dite. Ces psychothérapies sont relativement brèves.

12 PRADÈS Pierre, « L'efficacité de thérapies “psychodynamiques : une validation empirique de la psychanalyse ? », Revue du MAUSS, n° 38, Paris, La Découverte, 2011/2, p. 62

13 LEICHSENRING F. (2005). “Are psychodynamic and psychoanalytic therapies effective?”, International Journal of Psychoanalysis, 86, 841-868.

14 MILROD B., LEON A. C., BUSCH F., RUDDEN M., SCHWALBERG M., CLARKIN J., SHEAR M. K. (2007). “A randomized control trial of psychoanalytic psychotherapy for panic disorder”. American Journal of Psychiatry, 164, 265-272.

15 LEVY K. N., MEEHAN K. B., KELLY K. M., REYNOSO J. S., WEBER M., CLARKIN J. F., & KERNBERG O. F. (2006). “Change in attachment patterns and reflective function in a randomized control trial of transference focused psychotherapy for borderline personality disorder”. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 74, 1027-1040

16 BATEMAN A., & FONAGY P. (2008). “8-year follow-up of patients treated for borderline personality disorder: Mentalization-based treatment versus treatment as usual”. American Journal of Psychiatry, 165, 631-638.

17 NORCROSS J. C. (2005). “The psychotherapist’s own psychotherapy: Educating and developing psychologists”, American Psychologist, 60, 840 – 850. doi:10.1037/0003-066X.60.8.840

18 VISENTINI Guénaël. « Quinze ans après le rapport de l’Inserm. L’efficacité de la psychanalyse ré-évaluée », L'Évolution psychiatrique, 2021, 86 (3).



19 Ibid., p. 4

20 LEUZINGER-BOHLEBER M., KÄCHELE H., editors, “An Open-Door Review of Outcome and Process Studies in Psychoanalysis” (Third Edition), Londres, International Psychoanalytical Association, 2015

21 Voir Anne Brun, René Roussillon, Patricia Attigui (sous la direction de). Évaluation clinique des psychothérapies psychanalytique. Dispositifs individuels, groupaux et institutionnels, Malakoff, Dunod, 2016, 492 p.

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