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La psychanalyse malmenée

Dernière mise à jour : 18 juil.


photo océan

Aujourd'hui, la psychanalyse est malmenée dans les institutions, ainsi que dans les enseignements de psychiatrie et de psychologie. Il semblerait que la rigueur budgétaire et l'introduction de méthodes managériales et de procédures d'évaluation au sein des hôpitaux, qui souhaitent développer des temps de soin très courts, avec suppression de postes et de lits, soient incompatibles avec le temps plus long d'écoute du patient que nécessite la psychanalyse.

A partir des années 1980, est apparu le DSM (Manuel Diagnostique et Statistique des Maladies mentales) et avec lui un glissement quant à la notion de santé mentale. Cet outil pouvait permettre aux compagnies d'assurances d'évaluer le risque que court un individu s'il présente tel ou tel symptôme et ainsi d'évaluer le montant de sa prime. Il permet également aux laboratoires pharmaceutiques de fournir un médicament pour chaque symptôme et de diminuer le risque et ainsi la prime.

L'arrivée du DSM a eu des conséquences importantes en termes de dépistage. Aujourd'hui, on dépiste et on traite, parfois, dès la maternelle. La santé mentale repère les comportements à risque ou déviants et souhaite les corriger par des thérapies ou des psychotropes. La question de la guérison est donc confrontée au discours de la rapidité et de l'efficacité, et à une logique sécuritaire. Ce qui compte c'est ce que fait l'individu, voire ce qu'il risque de faire, et non ce qu'exprime le sujet, son histoire ou le sens de ses symptômes. La logique de soin se transforme en une logique de normalisation et de contrôle social. On ne soulage plus la souffrance psychique mais on repère les populations à risque.

Notre société devenue gestionnaire, cela entraîne une industrialisation et une standardisation du soin. La politique du soin actuelle, en se limitant au symptôme, traite l'homme comme un produit normalisé. Elle lui propose des psychothérapies ready-made. La psychanalyse est désormais mise en concurrence avec les neurosciences, les traitements médicamenteux et de nouvelles méthodes psychothérapeutiques promettant des résultats rapides. Ces nouvelles pratiques ne s'encombrent pas de concepts de parole singulière, de réalité psychique ou de sujet divisé, ni de questions politiques.

On en arrive à une pathologisation des comportements, et donc des discriminations. En pathologisant la souffrance psychique, on méconnaît les facteurs sociaux et environnementaux. Ceci peut expliquer la montée en puissance ces dernières années des théories de développement personnel au détriment de la psychanalyse. Les patients aujourd'hui cherchent des solutions rapides pour régler des problèmes ciblés. Mais ces solutions fabriquent à la chaîne des individus qui fonctionnent et non des sujets.

En outre, la psychologie positive nous explique que notre malheur dépend de nous et non de la société, et elle culpabilise le sujet souffrant. En intégrant le postulat que pour être heureux, il faut avant tout se changer soi-même, on accepte en réalité de renoncer à changer le monde. Si mon bonheur ne tient qu’à moi et moi seul, à quoi bon m’ancrer dans une logique de changement plus large.Le bonheur devient ainsi une idéologie, une mise au pas, une industrialisation, une uniformisation. On ne fabrique pas des gens heureux, mais des gens qui fonctionnent, qui acceptent, qui consomment bien sûr, et l'on assiste à un recul du politique. Les individus se pensant entièrement responsables de leurs choix, ceux qui n'accèdent pas au bonheur le vivent comme un échec personnel et une honte.

Dans cet environnement, la psychanalyse est de plus en plus décriée, elle voit son autorité théorique et thérapeutique remise en question et sa popularité diminuer. Car ce que propose la psychanalyse tient de la démarche inverse : elle consiste à aider l'individu à devenir un sujet en s'affranchissant du regard de l'autre. La pratique analytique est une clinique du cas par cas, qui vise davantage la libération psychique que la normalisation comportementale.

Aujourd'hui, le marché de la guérison veut faire croire que la consommation viendra à bout de la castration. Toutes ces pilules ou thérapies du bonheur laissent croire que « l'usager consommateur » pourra effacer son manque. Dans ce contexte, la psychanalyse peut sembler anachronique car elle ne peut répondre aux critères de performances, de rapidité et d'efficacité à courte vue. Face à ce marché de dupes, la psychanalyse propose uniquement de « transformer la misère hystérique en malheur banal » comme disait Freud.

Tout ceci ne semble plus aujourd'hui politiquement correct. Mais nous pouvons raisonnablement penser que le patient cherchera toujours une personne capable d'écouter ses difficultés et d'entendre ses conflits psychiques, sans être jugé et dans le respect de sa temporalité propre, dans un travail psychique partagé. Loin des thérapies de la performance ou de la médicalisation à outrance, la psychanalyse doit toujours saisir cette occasion de permettre à chacun d'accéder à une parole soutenant un désir.

Si l'on en croit l'Organisation mondiale de la Santé, les maladies les plus importantes du XXIe siècle seront mentales et comportementales, les études internationales révélant une augmentation constante des troubles psychiques. Il semble donc important de laisser coexister traitements médicamenteux quand ils sont nécessaires, thérapies rapides pour ceux qui le souhaitent et psychanalyse. La psychanalyse permet de laisser une place au sujet en permettant une rencontre entre la singularité et la vérité et de soutenir la position d'un sujet désirant, au-delà de la demande émise. Face à une conception de la santé qui devient une gestion du risque, la psychanalyse permet aussi de se savoir responsable de ses actions, et d'assumer notre position humaine, d'accepter le risque, d'accepter qu'il n'y a pas de protection ni de garantie contre la vie.

En outre, avec les évaluations basées uniquement sur l'EBM, à savoir l'"Evidence-Based Medicine" ou "médecine fondée sur les preuves" (sic), le risque est que les individus en souffrance deviennent des éléments statistiques. Face à une conception économique de la santé, la psychanalyse qui prône un soin personnalisé se voit accusée de passéisme. Dans cette nouvelle économie du soin, le citoyen n’est plus considéré comme un sujet dont il importe de respecter la singularité et le temps psychique, mais comme un individu. Un individu qui peut alimenter des bases de données. Des bases de données qui permettront bientôt de développer des applications pilotées par l'intelligence artificielle et de remplacer les soignants par des algorithmes.

Ce que propose la psychanalyse s'oppose à la logique étatique hygiéniste, à la surmédication et à la logique de marché. La psychanalyse propose au sujet d'entendre sa parole et de découvrir lui-même la vérité de son symptôme. Aussi, nous nous demandons si la disparition de la psychanalyse dans les institutions n'est pas liée au fait qu'elle reste aujourd'hui presque la seule à défendre l'idée de sens et le sujet, et à tenter de libérer une parole de plus en plus bâillonnée.

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